Colonel Jean DÉRIGNY (1828 - 1899)

Le Colonel Dérigny en uniforme du 5e Régiment de Hussards, vers 1889.
(Portrait peint par sa femme, coll. Denis Havard de la Montagne) DR Né le 15 août 1828 à Dun-le-Roi, à présent Dun-sur-Auron (Cher), fils de Nicolas et de Françoise Chatin, Jean Baptiste DÉRIGNY s'engage à l'âge de 19 ans, le 28 juillet 1848, au 9e régiment de Dragons, au lendemain de la Révolution de 1848 et du début de la Deuxième République. Détaché à l'Ecole de Cavalerie comme Cavalier élève instructeur le 6 août de la même année, il y reste jusqu'en mai 1854, après avoir entre temps franchi plusieurs grades : cavalier de 1ère classe le 24 mars 1849, Brigadier le 18 octobre 1849, Maréchal des logis élève instructeur le 26 avril 1850, Maréchal des logis du cadre de l'Ecole le 10 septembre 1850, Maréchal des logis fourrier le 1er avril 1851, Maréchal des logis le 4 février 1852, puis, sous le Second Empire (1852) Maréchal des logis chef le 17 mai 1853, Adjudant sous officier le 13 mai 1854.
Par décret du 1er mai 1854 (notifié à l'Ecole de Cavalerie seulement après sa promotion au grade d'Adjudant sous officier), Dérigny est nommé Sous-Lieutenant au 6e régiment de Dragons, alors commandé par le Colonel Robinet des Plas et effectue sa première campagne (guerre de Crimée) lors de l'Expédition d'Orient, du 6 septembre 1854 au 17 juillet 1856. Avec son régiment et le 7e de Dragons qui forment la 2e Brigade placée sous les ordres du Général d'Allonville, il participe notamment aux combats contre les Russes (Cosaques) à Sack le 24 septembre 1855 et, aux côtés des turcs et des anglais, contre les mêmes (Uhlans) à ceux de Kanghil (29 septembre). Ce dernier fait d'arme lui vaut la Médaille britannique de la Campagne de Crimée, octroyée par la reine Victoria d'Angleterre, et au régiment (alors commandé par le Lieutenant-colonel Ressayre) d'être cité à l'ordre de l'Armée d'Orient. Une fois le Traité de Paris signé (30 mars 1856), il revient en France dans le courant du mois de juillet et le 31 décembre 1857 est détaché à l'Ecole impériale spéciale militaire (section de cavalerie), en qualité d'Officier d'instruction, pour suivre la formation à compter du 1er janvier 1858. Reçu 11ème sur 53, il rentre au corps le 1er octobre 1859. Le 28 janvier de l'année suivante il est nommé Lieutenant et du 4 février 1862 au 14 avril 1864 est détaché à ladite Ecole comme Lieutenant Instructeur (écuyer). Lors de l'inspection de 1860, le Général Reibell note: "Extérieur distingué, instruit, bien élevé, beau et bon cavalier. Connaît fort bien son métier. Commande bien, bonne conduite. Officier qui a de l'avenir." Capitaine (Instructeur) le 12 mars 1864, il réintègre son corps le 14 mai 1864 puis est nommé Capitaine d'escadrons le 18 mars 1869, avant de rejoindre le 23 avril de cette même année le 4e régiment de Chasseurs d'Afrique, cantonné à Mostaganem, en qualité de Capitaine instructeur. Avec ce régiment, du 26 mai 1869 au 20 décembre 1870, il effectue sa deuxième Campagne, cette fois en Afrique, dans les colonnes du sud algérien et des confins marocains. Le Général de Clérambault note en 1868 : "Très beau cavalier, beau physique, a du zèle, de l'activité. Instruit, bien élevé, bonnes manières, instruction théorique et pratique bonne. Belle tenue, bonne conduite, apte à faire compagne." Et le Général Ameil en 1870 : " Sert avec zèle et intelligence, à la hauteur des obligations de son grade : officier instruit et bien élevé, méritant sous tous les rapports."Signature autographe du Colonel Dérigny, 1871
(coll. Denis Havard de la Montagne) DR
Rappelé en métropole au moment de la guerre de 1870, le Capitaine Dérigny débarque à Toulon le 3 janvier 1871 avec le 2e régiment de marche de Chasseurs d'Afrique dont il est le Capitaine commandant et est dirigé immédiatement sur l'Armée de l'Est pour combattre les Allemands. Chargé avec son régiment d'opérations de reconnaissance, il est cantonné dans le département de l'Ain pendant l'Armistice où il a pour mission "d'observer la vallée de l'Ain et reconnaître le pays". Le 11 mars 1871, il est élevé chevalier dans l'ordre de la Légion d'honneur, puis le 13, une fois rentré au 4e de Chasseurs, il rejoint l'Algérie où il effectue sa quatrième Campagne jusqu'au 18 mai 1872. Entre temps, le 30 avril 1872, il est passé au 12e régiment de Dragons, avant d'être affecté, le 11 octobre 1873, au 18e régiment de Chasseurs à cheval.
Nommé Chef d'escadrons le 4 septembre 1874 au 1er régiment de Chasseurs d'Afrique, Dérigny passe le même jour au 10e régiment de Hussards (ex 2e Lanciers) avec lequel il effectue sa cinquième Campagne (Afrique), du 19 octobre 1877 au 5 août 1880. C'est là, en Algérie, qu'il gagne ses galons de Lieutenant-colonel le 10 juillet 1880 avec une affectation au 7e régiment de Dragons. Avant son départ pour l'Algérie, il publie dans le "Journal des sciences militaires" de juin 1876 un travail intitulé : " Projet de règlement sur le service stratégique de la Cavalerie avant le combat" qui fait ensuite l'objet d'un tiré à part publié à Paris, par J. Dumaine (1876, in-8°, 30 p.) Pour ces éditions il obtient l'autorisation du Ministre de la Guerre par lettre adressée le 1er avril 1876 à M. le Gouverneur militaire de Lyon et par "Note pour la Direction Générale du Personnel et du Matériel, 5° Bureau, Cavalerie". Quelques années plus tard, en 1882, il écrit un "Catéchisme militaire à l'usage des établissements d'instruction publique" (in-8°, 48 p.), publié à Paris, à la direction du "Spectateur militaire". Cet ouvrage, augmenté (in-12, 93 p.), sera réédité en 1884 à Paris par C. Delagrave.
Ses 3 Campagnes en Afrique (1869-1870, 1871-1872 et 1877-1880) lui valent la Médaille coloniale avec l'agrafe "Algérie".
Enfin, le 20 décembre 1883 Dérigny est élevé au grade de Colonel et prend le commandement du 5° régiment de Hussards (Cavalerie légère) alors stationné à Nancy, à la suite du Colonel Alliot. Cinq années plus tard, après avoir été élevé le 24 juin 1886 au grade d'officier dans la Légion d'honneur, son régiment étant à présent cantonné à Pont-à-Mousson, le 13 février 1888 il demande sa pension de retraite qui lui est due d'après la loi du 11 avril 1831, à titre d'ancienneté de service et de la loi du 22 juin 1878. Son ancienneté de services effectifs est de 39 ans, 7 mois, 13 jours, et de campagne de 10 ans, soit un total de 49 ans, 7 mois et 13 jours. Par décret du 29 mars 1888, le Colonel Dérigny, matricule 474, est placé en position de retraité, avec une pension de 6000 francs.
Le sabre, le képi et les décorations du Colonel Dérigny (Légion d'honneur, Médaille coloniale avec agrafe Algérie, Médaille britannique de la Campagne de Crimée) par Jeanne Dérigny (vers 1889)
(coll. Denis Havard de la Montagne) DR Le Mussipontain (le journal de Pont-à-Mousson) du 3 mars 1888 relate ainsi le "départ du Colonel du 5e hussards" :
" Mardi soir a eu lieu, à l'hôtel de la Poste, un dîner d'adieu offert par les officiers du 5e régiment de hussards à leur colonel, M. Dérigny, qui a pris sa retraite. Après le repas, les officiers se sont rendus à leur cercle, café de la Gare. La salle était des mieux décorées, c'était une vraie salle d'honneur. La musique a salué l'entrée du colonel et a continué à se faire entendre toute la soirée.
"Mercredi avait lieu dans la cour du quartier la revue d'adieu passée par le colonel Dérigny.
"A 2 heures moins le ¼, dit le Courrier, les quatre escadrons, comptant chacun un effectif de 170 hommes environ, étaient formés à pied, en carré, dans la cour du quartier. Les factionnaires ont peine à faire circuler le nombreux public qui stationne aux grilles. A deux heures, le colonel entre au quartier. Le public se découvre ; le colonel répond gracieusement ; il paraît ému.
"La fanfare, formée en cercle dans la cour, joue un pas redoublé et la revue commence. Puis le colonel Dérigny charge le capitaine instructeur de Bouillé de porter à la connaissance du régiment l'ordre par lequel le colonel adresse ses adieux au 5e hussards. Le régiment défile ensuite très correctement en colonne à distance entière par peloton.
"Enfin le colonel fait porter l'étendard et sa garde au centre du carré, puis, lui faisant face, met le sabre à la main, ordonne la sonnerie "à l'étendard" et salue.
"La revue était terminée, le colonel avait quitté le commandement du 5e hussards ; l'étendard a été conduit chez le lieutenant-colonel Raimond, qui habite route de Maidières.
"Le colonel Dérigny était le Dieu de son régiment. Celui-ci perd en lui un tacticien des plus capables et un administrateur habile.
"Le colonel Dérigny, par sa bonté d'âme, la droiture de son caractère, était très estimé à Pont-à-Mousson et les relations entre lui et la municipalité ont toujours été des plus cordiales. Souhaitons que ces bons rapports continuent avec son successeur."
De son côté le journal "France militaire" décrit cet évènement en ces termes :
"La revue d'adieu du colonel Dérigny, admis à faire valoir ses droits à la retraite, a eu lieu à Pont-à-Mousson mercredi dernier.
"Les quatre escadrons étaient formés en carré dans la cour du quartier, lorsque le colonel fit son entrée au milieu d'un public qui se pressait aux grilles et qui manifestait toute sa sympathie pour M. Dérigny.
"Aussitôt la fanfare joue un pas redoublé, puis le colonel passe la revue du 5e hussards. Celle-ci terminée, le capitaine de Bouillé porte à la connaissance du régiment l'ordre du jour par lequel le colonel adresse ses adieux au 5e hussards. Puis le colonel salue l'étendard et quitte la caserne.
Autoportrait de Jeanne Dérigny
(coll. famille Véry) DR"Après la revue, l'étendard a été reconduit chez M. Raimond, lieutenant-colonel, en attendant l'arrivée du successeur de M. Dérigny.
"Le soir, un punch réunissait tous les officiers pour faire leurs adieux à un chef dont ils appréciaient les qualités militaires."
A sa retraite (1888), retiré à Paris, 34 bis rue Guillaume-Tell, le Colonel Dérigny est nommé le 21 avril 1894 Colonel de réserve, mis à la disposition du 20° régiment de Chasseurs à cheval, mais deux années plus tard il décède et est rayé des cadres de l'Armée le 10 septembre 1896 et s'éteint en son domicile parisien le 13 janvier 1899.
Alors en poste à Pont-à-Mousson (Meurthe-et-Moselle), où il commandait le 5e de Hussards, le Colonel Dérigny avait fait la connaissance de Mlle Jeanne Godfroy, de 27 ans sa cadette. Née le 31 mai 1856 à Lunéville, non loin de la ville de garnison du Colonel, elle était fille d'un entrepreneur en bâtiments et petite-fille d'un soldat vétéran du 1er Empire. Un sien cousin, Pierre Godfroy (1839-1863), Zouave de 2ème classe au 1er régiment de Zouaves, 32ème bataillon, 3ème compagnie (matricule 12676), perdit la vie durant la guerre du Mexique : à l'âge de 23 ans il périt à l'ambulance du Pénitencier de Puebla, le 6 avril 1863 "à six heures du soir par suite de coup de biscaïen dans la poitrine". La jeune femme était une artiste peintre de grand talent, spécialisée dans les portraits. L'une de ses toiles, La Liseuse, fut exposée au Salon des Champs-Elysées à Paris au début des anées 1890. On raconte que, démunie de dot, elle ne pouvait obtenir l'autorisation d'épouser le Colonel Dérigny durant son service dans l'armée et dut attendre sa retraite. C'est ainsi qu'ils se marièrent le 13 janvier 1889 à Paris où ils vécurent ensuite. Les témoins à la cérémonie étaient : Jules Serval, Colonel du génie en retraite, Alphonse Laferrière, Lieutenant-colonel de cavalerie en retraite, Théodore Pasquier, retraité, ancien Capitaine commandant au 12e Régiment de Dragons et Georges Raimond, Lieutenant-colonel au 5e Régiment de Hussards à Pont-à-Mousson. Mais dix années plus tard Jeanne Dérigny se retrouvait veuve, sans enfant. Elle survécut 36 ans à son époux et s'éteignit à son tour le 14 septembre 1935 en son domicile du 20 rue de la République à Lunéville, où elle était retournée vivre quelques années après la mort du Colonel. Le Colonel et son épouse n'eurent point d'enfant, mais ils sont notamment représentés de nos jours par l'auteur de cette notice, un arrière-arrière-petit-neveu. Celui-ci conserve précieusement deux tableaux peints par Jeanne Dérigny : le Colonel en uniforme, assis sur une chaise dans sa bibliothèque, et une nature morte sur laquelle l'on peut voir son sabre, son képi et ses décorations. La famille Véry, autre représentant du couple Dérigny-Godfroy, détient quant à elle d'autres toiles, notamment un auto-portrait de l'artiste.

Denis Havard de la Montagne (juin 2007-mars 2013), Rédacteur en chef du site : musimem.com